CRÉON. — Réponds en peu de mots. Connaissais-tu mon édit ?
ANTIGONE. — Comment ne l'aurais-je pas connu ? Il était public.
CRÉON. — Et tu as osé passer outre à mon ordonnance ?
ANTIGONE. — Oui, car ce n'est pas Zeus qui l'a promulguée, et la Justice qui siège auprès des dieux de sous terre n'en a point tracé de telles parmi les hommes. Je ne croyais pas, certes, que tes édits eussent tant de pouvoir qu'ils permissent à un mortel de violer les lois divines : lois non écrites, celles-là, mais intangibles. Ce n'est pas d'aujourd'hui ni d'hier, c'est depuis l'origine qu'elles sont en vigueur, et personne ne les a vues naître. Leur désobéir, n'était-ce point, par un lâche respect pour l'autorité d'un homme, encourir la rigueur des dieux ? Je savais bien que je mourrais ; c'était inévitable — et même sans ton édit ! Si je péris avant le temps, je regarde la mort comme un bienfait. Quand on vit au milieu des maux, comment n'aurait-on pas avantage à mourir ? Non, le sort qui m'attend n'a rien qui me tourmente. Si j'avais dû laisser sans sépulture un corps que ma mère a mis au monde, je ne m'en serais jamais consolée ; maintenant, je ne me tourmente plus de rien. Si tu estimes que je me conduis comme une folle, peut-être n'as-tu rien à m'envier sur l'article de la folie !
LE CORYPHÉE. — Comme on retrouve dans la fille le caractère intraitable du père ! Elle ne sait pas fléchir devant l'adversité.
Sophocle (grec, 496-406 av.J.-C) [Auteur de cent vingt-trois pièces de théâtres tragiques. Remporte un nombre considérable de fois des premiers prix de concours dans sa discipline. Antigone, Electre, OEdipe, parmi d'autres personnages mis en scène par lui, servent aujourd'hui aux philosophes et aux psychanalystes pour penser tel ou tel point de leur doctrine.]
Antigone (441 av. J.-C), trad. R. Pignarre, Garnier-Flammarion, 1964.
(Extraído de Michel Onfray, Antimanuel de Philosophie)
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