Thierry Jean-Pierre, avocat, ancien juge d'instruction et député européen, est mort, mardi 26 juillet, à la veille de ses 50 ans, des suites d'un cancer.
"Le gouvernement des juges, disait-il, c'est un pur fantasme." Thierry Jean-Pierre, devenu récemment avocat, a incarné les débuts flamboyants de la justice financière quand, en 1991, alors jeune juge d'instruction en poste au Mans, il a perquisitionné à Paris le siège de la société Urba-Gracco, le bureau d'études qui finançait illégalement le Parti socialiste. Un coup de tonnerre. Le garde des sceaux, Henri Nallet, avait qualifié cette perquisition inédite de "cambriolage judiciaire", et fait aussitôt dessaisir le juge.
Petit shérif pour les uns, héros de l'émancipation des juges pour les autres, Thierry Jean-Pierre est alors devenu le porte drapeau du combat pour l'indépendance de la justice. Avec d'autres magistrats, comme Eva Joly, Eric Halphen et Renaud Van Ruymbeke, il marquera les années 1990 qui furent celles des grandes affaires politico-financières.
Son visage, chevelure blonde et grandes lunettes cerclées de métal, deviendra vite familier : le juge s'exprime dans toute la presse, de Révolution à Minute. Bête noire de François Mitterrand, le jeune magistrat va également, en 1992, enquêter sur le prêt de 1 million de francs consenti par Roger-Patrice Pelat au premier ministre Pierre Bérégovoy. Au Mans, il travaille sous la houlette d'Yves Bot, qui deviendra procureur de la République de Paris, puis procureur général, haut magistrat réputé proche de Nicolas Sarkozy. Thierry Jean-Pierre est né en Lozère le 27 juillet 1955. Fils d'enseignants, il a grandi sur l'île de la Réunion. C'est à l'éducation nationale qu'il a commencé sa carrière, comme attaché d'administration, en étant intendant dans un lycée de Gennevilliers, en région parisienne. Il s'est marié à une magistrate.
Indépendant, il n'a pas satisfait aux convenances de la magistrature. En janvier 1993, quand le garde des sceaux socialiste Michel Vauzelle l'a accusé d'avoir mené "une action politique contre le gouvernement", à l'occasion d'une grogne des magistrats contre le nouveau code de procédure pénale, le juge n'a pas hésité à assigner son ministre en justice.
LUTTE CONTRE LA CORRUPTION
Ambitieux, brillant, il s'est engagé en politique après les grandes affaires du début des années 1990, mais ne s'est jamais réellement intégré à ce nouveau milieu. D'abord classé à gauche, délégué régional du Syndicat de la magistrature (il a déclaré avoir voté Mitterrand en 1981 et 1988), il s'est ensuite tourné vers la droite, et les idées libérales, "tendance libertaire", de son propre aveu.
Il rejoint le club Idées actions d'Alain Madelin, avant de devenir trésorier de Démocratie libérale puis de se faire élire aux élections européennes de 1994 sur la liste souverainiste de Philippe de Villiers. En 1999, il est réélu. Devenu trésorier de Démocratie libérale, il sera rattrapé par ses collègues juges d'instruction Eva Joly et Laurence Vichnievsky, qui souhaitaient le mettre en examen dans le cadre de l'enquête sur le financement du Parti républicain. Le parquet de Paris s'y opposera.
Son obsession, la lutte contre la corruption, lui fera accepter de la chancellerie, en 1994, une mission sur le crime organisé. Il a alors plaidé pour une VIe République, et réclamé une "opération mains propres" à la française. Mais l'avant projet de loi de lutte contre la corruption et le blanchiment qu'il avait rédigé sera enterré.
Thierry Jean-Pierre a été un auteur prolixe. De son journal de bord de l'affaire du financement du PS, Bon appétit messieurs (Fixot, 1991), à Lettre ouverte à ceux que les petits juges rendent nerveux (Albin Michel, 1995), Le Droit des plus forts (Fixot, 1996), Crime et blanchiment (Fixot, 1993), Crédit Lyonnais, l'enquête (Fixot, 1997), L'Argent des fonctionnaires (Fixot, 1998), L'Etat en délire (Robert Laffont, 2002) et Taïwan connection (Robert Laffont, 2003). Il a même écrit sur Jacques Vergès, qui fut son avocat et dont il était proche : Vergès et Vergès, de l'autre côté du miroir (Lattès, 2000).
Après avoir été un juge très populaire, puis un élu européen tumultueux, Thierry Jean-Pierre avait annoncé fin 2004 son souhait d'arrêter la politique à la fin de son mandat et s'était tourné, dans la discrétion, vers la profession d'avocat. Au début de son premier livre, il reprenait la tirade de Ruy Blas : "Bon appétit, messieurs, O ministres intègres ! -...- Soyez flétris, devant votre pays qui tombe, fossoyeurs qui venez le voler dans sa tombe !"
LE MONDE 27.07.05
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